« Aurèle en scène, chanteuse nantaise pour confinés sur balcons » (c) Lola Rousseau
Dans un contexte sociétal où l’on tend à prôner la densité de l’habitat pour ralentir l’étalement urbain sur les terres agricoles, les questions du logement et du bien-vivre en ville se posent… Encore plus aujourd’hui, en ces temps de crise sanitaire. Des habitants d’immeubles collectifs sont contraints de rester confinés chez eux, dans des appartements trop petits, parfois vétustes et surtout sans espaces extérieurs. Les inégalités deviennent criantes et la question du bien vivre chez-soi apparaît comme une priorité pour nous, architectes, urbanistes et créateurs d’urbanités. Le balcon a traversé les siècles, subi les évolutions de la construction, les transformations du bâti et les modes architecturales. Il anime la rue, le bâtiment et la façade d’une manière sans égale. Cet article aborde la complexité de cet objet autant architectural qu’urbain, privé que public, intime et fragile qu’en vue à tous les regards.
Balcon, terrasse, loggia : subtilités de définitions
Étymologiquement, le mot « balcon » est d’origine italienne : balcone. Il signifie « échafaud » au sens de l’échafaudage, lui-même dérivé de baco (poutre).Un balcon ne se définit pas par les paramètres de dimension ou de largeur comme certains auraient tendance à le croire mais bien par son système constructif. En construction, un balcon est une dalle en porte à faux, suspendue dans le vide, à la différence d’une terrasse qui est un plancher couvrant un local ou un vide sanitaire. Il est entouré d’un garde-corps et on y accède par l’intérieur dudit immeuble.
Considéré comme une surface annexe au logement, au même titre que la cave ou les combles, 50% de ces surfaces annexes rentrent dans la surface utile, ce qui lui confère un statut d’espace « à moitié habitable, à moitié annexe ».La différence principale entre la loggia et le balcon est caractérisée par son ouverture sur l’extérieur. Espace compris dans l’épaisseur de la façade, la loggia apparait comme une réelle pièce du logement située à l’air libre, à l’inverse du balcon qui reste une projection dans l’espace urbain. C’est cela qui lui confère un caractère si spécial. À la fois intime et publique, accessible depuis l’intérieur mais visible de l’extérieur, le balcon recèle des dualités et des liens avec toutes les échelles architecturales.
Du balcon de représentation au balcon d’usage, du fer au béton : vers une liberté d’expression pour le concepteur
Le balcon architectonique naît sur les façades à la période de la Renaissance. Auparavant éléments de bois rajoutés, il devient élément de support à l’art de la ferronnerie avec la pierre, comme base matérielle. Au 17 et 18e siècles, les balcons n’étaient autorisés qu’à l’emplacement des espaces publics. Ils permettaient, par exemple, aux douaniers de surveiller les chargements et déchargements de marchandise sur le quai de la Fosse, ou aux aristocrates de profiter des spectacles sur les places publiques sans risquer de générer des incendies de part et d’autre de la rue. Essentiellement élément de composition de la façade support de l’art de la stéréotomie et de la ferronnerie, il occupait au niveau de l’usage surtout un poste de belvédère pour la surveillance ou l’appréciation de la vue.
La production de masse des logements collectifs au 19e siècle à impulsé le logement dense. La pensée moderniste associée à l’invention du béton révolutionne les modes d’habiter, plus hygiénistes et fonctionnels. Au 20e siècle, le mouvement de pensée de l’hygiénisme et celui du fonctionnalisme ont contribué à étirer les proportions du balcon pour le rendre plus utile et habitable. La plupart des immeubles construits en béton armé jusque dans les années 2000 comportent des balcons en porte-à-faux, en prolongement de dalle. Désormais, cette conception dans le neuf est pratiquement abandonnée car elle crée un pont thermique considérable, difficile à résoudre.
Aujourd’hui les règles d’urbanisme dans certaines zones se sont assouplies. Une part plus grande de liberté esthétique est accordée au concepteur. Le balcon change de forme, devient carré, losange, triangle… Désormais, le balcon est rapporté : la dalle est discontinue ce qui permet d’intégrer facilement des ruptures de pont thermique (isolation). Le principe le plus courant reste celui de la console, comparable à celui de 1764, même si elle est plus souvent en béton qu’en bois. Le balcon peut aussi être suspendu (haubanage), semi-indépendant (poteaux en saillie) voire autoportant (quatre poteaux par exemple). L’autre intérêt du balcon rapporté est de permettre de s’affranchir plus facilement des contraintes d’accessibilité aux handicapés qui impose un seuil inférieur ou égal à 2 cm : il suffit d’ajuster la hauteur des appuis par rapport à la baie.
En ce début de 21e siècle, la réalisation de logements est de première urgence. Les exigences de développement durable conduisent à des évolutions typologiques et architecturales certaines qui ont déjà commencé à se répercuter sur le dispositif du balcon.
« Le Balcon », Manet, 1869
Mode d’expression de l’architecte… et de l’habitant !
À cause des effets de normalisation des plans intérieurs des logements collectifs (normes PMR, surfaces imposées par les bailleurs…), la façade est devenue le mode d’expression de l’architecte dans le secteur de la construction des logements collectifs. Or, le balcon associé à la fenêtre compose cette façade. Il est un élément caractéristique du logement collectif. Il devient ainsi instrument à la créativité conceptuelle, mais il est aussi celui de l’expression personnelle des habitants eux-mêmes. Sa situation d’espace privé projeté dans l’espace public lui procure une force de pièce intérieure extériorisée, libre d’appropriation et donc sujette à la représentation de l’identité de l’habitant. En ces temps de confinement, il devient même l’unique lien avec l’espace de la rue, celui depuis lequel on peut discuter (en réel, sans téléphone ni Visio) avec une personne passant dans la rue, chanter ou jouer de loin avec ses voisins ou tout simplement prendre l’air et profiter des premiers rayons de soleil du printemps…
« Blindtest entre voisins, lors du confinement ». Nantes. (C) M. Charles
» Tyrolienne de fortune, de balcon à balcon.. pendant le confinement ». (c) M.Charles
À chacun son balcon « hybride » : vie de quartier dans l’ensemble de logements « Habiter les quais 1 »
En 2014, nous sommes allées à la rencontre des résidents et des architectes parisiens ANMA et nous avons observé la « vie des balcons » sur les immeubles « Habiter les quais 1 », à Nantes. Leur atout premier est leur forme. Elle peut paraître banale (un rectangle) mais elle est accrochée de manière innovante techniquement : depuis l’angle. En plus d’offrir trois orientations et une continuité depuis l’intérieur, ce balcon propose « un coin » de plus que s’il avait été lié parallèlement à la façade. « Les coins », ce sont les endroits de l’espace où on entrepose, contre lesquels on s’appuie et que l’on s’approprie facilement.
Leur second atout, c’est la « continuité », le « prolongement depuis l’intérieur » dont les habitants font état dans chaque interview. Le point noir de l’ambiance de cet espace, comme le soulèvent certains de ces habitants, est l’exposition au vent. Certains pensent que la situation serait remédiable par l’ajout d’un second pan de panneaux métalliques. D’autres tentent des solutions de fortune, comme Julia qui pose des couettes sur la rambarde. « Habiter les quais 1 » est un immeuble qui permet d’habiter non seulement les quais, mais surtout son balcon.
« Photos et Collage conceptuel suite aux interviews.Balcons de « Habiter les quais I . (c) Colette Lebourdonnec
Cet espace est le dénominateur commun qui relie tous les appartements de tailles différentes entre eux : le T1 de l’étudiante aura le même balcon que le T5 du gestionnaire propriétaire. Si on retrouve des usages similaires (réception et jardinage), les usages ne se cumulent pas de la même manière. C’est justement cela qui rend le dispositif intéressant, c’est sa capacité à être approprié différemment. Ici, on s’aperçoit quand même que les codes culturels et le fort vis-à-vis obligent d’une certaine manière à prendre soin de l’image de cet espace : on n’étend pas le linge par pudeur, on n’entrepose pas les objets par peur du fouillis. « L’habitat est la scène privilégiée sur laquelle se joue et s’exprime l’identité multiforme de chaque individu, scène qu’il a plus ou moins choisi[1] ». Le balcon est ici poussé sur le devant de la scène, avec une improvisation déjà envisagée. Au final, ce grand espace extérieur, suspendu dans et au-dessus des arbres, situé en plein centre-ville, avec un dispositif permettant d’occulter ou d’ouvrir son balcon sur l’extérieur… « C’est un peu l’appartement du futur », comme le souligne un habitant
Le droit à l’extérieur privatif : forme, fonction et appropriation
On le comprend donc bien : la forme, la fonction, et l’appropriation du balcon forment un triptyque de notions rattachées à la conception de cet espace.Le balcon, ainsi que n’importe quel espace extérieur privatif, est encore vu parfois comme un confort, alors que c’est une réelle nécessité. C’est ce qui rend la vie « dense », supportable. Or, malgré nos demandes, les maîtrises d’ouvrage intègrent encore trop peu la nécessité de l’ajout de balcons sur les opérations de rénovation d’immeubles collectifs. Pour les bailleurs et autres maîtrises d’ouvrages, l’usage justifie rarement l’investissement économique. Parfois, l’argument de la mise en scène urbaine arrive à prévaloir devant celui de l’usage : cela nous permet d’offrir alors des balcons supplémentaires, mais uniquement là où les façades sont les mieux exposées. Le balcon n’est malheureusement pas généralisé à tous les logements.
Du côté des projets de logements collectifs neufs, nous devons encore « batailler » pour proposer des espaces extérieurs qualitatifs, confortables ayant une qualité d’usage. Ces espaces ne sont pas considérés comme rentables et ne sont pas encore la priorité des décideurs. À l’Atelier du Lieu, le « droit à l’espace extérieur privatif » nous apparait comme une lutte architecturale centrale. Et celle-ci prend d’autant plus son sens avec la crise que nous traversons.
Article écrit par :
Colette Le Bourdonnec, Architecte – Atelier du Lieu Nantes à partir de son mémoire de Master en Architecture, 2014.
[1] BONETTI Michel, « Habiter le bricolage imaginaire de l’espace ». Ed EPI. 1994